Zealandia, Zélande, Seeland : comment ne pas tout mélanger ?

Ce qui est compliqué dans les toponymes utilisé dans le Pacifique insulaire c’est que, sans faire attention, nous utilisons un mélange de noms qui ont été importés d’Europe (dans des versions latine, anglaise ou française) et de noms vernaculaires parfois très compliqués.

Zealandia le continent à 95 % disparu dont Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie représentent les seuls vestiges, un continent ainsi dénommé depuis seulement 1995

Enchevêtrement de la terre et de la mer

L’étymologie de « Zélande » quelle que soit son orthographe en anglais, en allemand, en néerlandais, en danois (qui sont des langues germaniques) est simplement la juxtaposition du mot « Land » la terre, et du mot « See » la mer.

Il n’est donc pas absurde qu’on ait choisi de tels noms pour désigner des régions souvent basses avec des îles dans ces régions européennes.

Puis ultérieurement pour désigner des îles et archipels de l’hémisphère Sud, surtout quand au départ on est Hollandais ! (voir l’article Circumnavigation 3 Le XVIIe siècle, siècle des Provinces Unies et de la VOC).

Des noms oubliés sauf des habitants : la province de Zélande (Pays-Bas) et l’île de Seeland (Danemark) à l’étymologie semblable

Au fil du temps certains noms initiaux ne sont plus connus que des habitants d ‘Europe qui y habitent.

Ainsi la province de Zélande est une province économiquement très importante du Sud des Pays-Bas, qui est frontalière avec la Belgique située entre Rotterdam au Nord et Anvers au Sud qui sont deux de nos plus grands ports européen.

Et effectivement la Zélande » est l un enchevêtrement de terres basses, d’îles au niveau de l’embouchure de l’Escaut (au fond duquel se trouve le port d’Anvers

Sur cette carte de 1643 on voit cette province désignée par son nom latin de Zeelandia
La Zélande aujourd’hui. En bas à droite de l’image on voit l’immense port belge d’Anvers (au fond de l’estuaire de l’Escaut). En haut de la photo, on voit un autre port (l’avant-port de Rotterdam qui se trouve sur la Nouvelle Meuse -qui est comme son nom ne l’indique pas un bras du Rhin !- Suite à l’effroyable tempête de 1953 le « plan Delta » a été mis en place avec plusieurs barrages sur les différents bras de l’Escaut pour protéger les terres.

On retrouve ce nom de Seeland dans la variante orthographique danoise pour désigne l’île principale qui marque le passage entre la mer du Nord et la mer Baltique au niveau de ce qu’on qualifier de « détroits danois » (si on ne veut pas retenir les termes trop compliqués

L’île de Seeland qui est la plus grande île du Danemark, celle où se trouve la capitale Copenhague c’est elle qui contrôle le détroit d’accès vers la mer Baltique aujourd’hui où se trouve un pont.

voir Le Danemark : une petite introduction

Quand seule les versions récentes d’un toponyme sont connues : Nouvelle-Zélande et Nouvelle-Calédonie

Beaucoup de gens dans le monde auraient bien du mal à situer York (cette ville anglaise qui a une magnifique cathédrale) mais tout le monde connaît New-York, sa 2e version en Amérique du Nord. Il en est de même pour la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie.

Seule la version nouvelle est mondialement connue : la Nouvelle-Zélande (New Zealand) est connue comme un pays anglophone dont l’équipe de rugby les « Old Blacks »est réputée pour exécuter une danse guerrière maorie (un « hakka ») avant le début des matchs !

Quant à la Nouvelle-Calédonie (New Caledonia) c’est un territoire français du Pacifique près de l’Australie où vivent des Kanaks qui revendiquent l’Indépendance (c’est au moins ce qu’on espère qu’un Français de métropole saurait répondre si on faisait un micro-trottoir mais je n’en suis même pas certaine et c’est un peu frustrant quand on vit ici (voir l’article La Nouvelle-Calédonie une présentation générale).

Par contre on ne connaît pas la Calédonie tout court qui est l’ancien nom de l’Écosse, Caledonia en latin et en anglais, celle qui n’est pas conquise par les Romains et qui y ont édifié le mur d’Antonin (au niveau à peu près des villes actuelles d’Édimbourg et de Glasgow) et ont reculé jusqu’au mur d’Hadrien sauf si l’on a pris spécialité HGGSP (Histoire Géographie Géopolitique Sciences Politiques) et mémorisé le thème sur les frontières de l’Empire romain (voir Le limes romain classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987). Si ce mot est resté c’est que Cook a trouvé de loin que le rivage abrupt et boisé de la côte Est de la Grande Terre ressemblait à celui de l’Écosse…

Par contre on aurait du mal à rencontrer aujourd’hui un Breton qui connaît la localisation de la Nouvelle-Bretagne (qui se trouve en Papouasie-Nouvelle Guinée (PNG) ou un Irlandais qui connaît celle de la Nouvelle-Irlande (également en PNG).

Mais peut-être que je m’inquiète trop de risques de confusion de toponymes. Quand on ne connaît rien, on ne risque pas de confondre deux toponymes puisqu’on ignore que le nouveau fait référence à un l’ancien et qu’il a été justement choisi pour faire référence à l’ancien ! Mais si j’insiste sur ces parentés de toponymes, et cette histoire de la dénomination des lieux, des termes scientifiques en s’appuyant considérablement sur l’Europe, sur le latin, c’est que si on ne le fait pas tout semble excessivement compliqué alors que c’est beaucoup plus simple si on fait le lien entre le passé et le présent, l’ancien et le nouveau.

Le choix des toponymes dans le Pacifique Sud-ouest : des choix hollandais ?

Ce n’est donc pas un hasard si on retrouve ces noms dans l’hémisphère Sud puisqu’au XVIIe siècle, le siècle des Provinces Unies (marqué par la fondation de Batavia sur l’île de Java en 1619), le grand navigateur dans cette région est le Hollandais Abel Tasman qui va partir de Batavia (l’actuelle Jakarta en Indonésie) et découvrir d’abord en 1642-1643 les Fiji, Tonga, une portion du littoral de ce qui est aujourd’hui la Nouvelle-Zélande, l’île qui porte désormais son nom la Tasmanie (mais lui a baptise terres de Van Diemen – du nom du gouverneur de Batavia).

La carte de 1644 de la Nouvelle-Hollande (qui est l’ancien nom de l’Australie). On voit dans le coin en bas à droite la Zeelandia Nova découverte par Abel Tasman en 1642 en provenance de Batavia

Puis, lors d’une nouvelle expédition en 1644, il va cartographier une partie de la côte ouest australienne qu’il appelle Nouvelle-Hollande.

L’oubli de l’époque des contacts entre l’Europe et le monde (à partir du XVIe siècle) et la « disneylandisation » du monde actuel

Aujourd’hui en Europe tout le monde a oublié la Nouvelle-Hollande et Tasman mais l’on connaît l’Australie (avec quelques clichés réducteurs associés kangourous, koalas -marsupiaux- et les Aborigènes avec leur boomerang- et la Tasmanie, cette île dont l’espèce emblématique est un marsupial carnivore le diable de Tasmanie (qui a été éliminé en Australie depuis 400 ans) mais est aujourd’hui protégé en Tasmanie.

Il a été recyclé en dessin animé par Warner Bross avec un type jeu de mot dont sont friands les publicitaires d’aujourd’hui Taz-mania et sa version a éclipsé l’animal réel, son origine géographique et l’origine du nom.

Un faux billet américain commémoratif de 2012 de la Warner Bross avec Taz, le personnage de dessin animé qui a comme partenaire le lapin Buggs Bunny

Un nouveau sens pour Zealandia lié à l’avancée de la recherche géologique dans le Pacifique insulaire

Quant à savoir que le terme Zealandia (qui est le nom latin initial avec une variante de voyelle) désigne aujourd’hui ce continent à 95 % disparu où l’on trouve aujourd’hui la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie et qui permet d’expliquer la géologie très complexe de cette région du monde, je l’ai appris seulement récemment.

Car en fait ce n’est qu’en 1995 qu’un géophysicien américain Bruce P. Luyendyk (né en 1943, il a un patronyme d’ascendance hollandais), qui enseignait à l’Université de Californie à Santa Barbara -au bord de l’océan Pacifique- a proposé cette dénomination.

Et là c’est intéressant de comprendre que les thématiques qui nous intéressent en tant que chercheurs sont généralement liées à l’endroit où l’on vit et/ou aux rencontres qu’on fait dans sa vie d’élève puis d’étudiant.

Parce qu’on vit en Californie, au bord de l’océan Atlantique au contact de plaques tectoniques avec la menace de la faille transformante de San Andreas (qui a abouti à la destruction de San Francisco en 1906 -qui a fait environ 3000 morts) et qu’on est un géologue, il n’est pas très étonnant qu’on s’intéresse à la tectonique des plaques pour essayer de comprendre comment tout cela s’organise dans le Pacifique.

C’est surtout vrai quand on est appartient à une génération où la théorie de la tectonique des plaques, l’intuition du géologue allemand Wegener dans les années d’Entre-deux-Guerres est acceptée par la communauté scientifique internationale à la fin des années 1960 au moment où l’on devient étudiant, que cette théorie est toute jeune, qu’il y a beaucoup à apprendre, à creuser et que parallèlement on est dans une phase de progrès technologiques majeurs (ordinateurs, nouveaux outils d’explorations des mers, nouveaux outils de mesure).

Ainsi grâce à l’équipe californienne de Bruce P. Luyendyk et son continent de Zealandia nous pouvons essayer de faire découvrir et comprendre un minimum la géologie de la Nouvelle-Calédonie à des élèves et des étudiants.

Mais l’article de Wikipédia est absurde dès lors qu’il parle à propos du Zeelandia de « divisions politiques » et « d’économie » et qu’ony voit écrit : « As of 2024, the total human population of Zealandia is approximately 5.4 million people » !!! Il explique aussi que certains veulent l’appeler Te Riu-a-Māui (en maori) ou Tasmantis. Mais à partir du moment où un concept pertinent est accepté par la communauté scientifique changer les noms pour des raisons politiques n’a pas de sens. Le continent Zealandia n’appartient pas aux Maoris qui sont arrivés en Nouvelle-Zélande au XIIIe siècle !

Zeelandia désigne juste un espace autrefois terrestre de 3500 km du Nord au Sud sur environ 1300 km d’Ouest en Est soit environ 4,9 million de km² aujourd’hui à 95 % sous l’eau et qui permet de comprendre la suite de l’éclatement du continent du Gondwana et donc les roches et la tectonique qu’on observe en Nouvelle-Calédonie et en Nouvelle-Zélande.

Changer les noms de termes scientifiques n’a de sens que si on en forge de plus précis (voir l’article Un peu de géologie simplifiée à l’usage des géographes dans lequel j’explique comment les termes de Paléozoïque, Mesozoïque et Cenzoïque ont remplacé les ères primaire, secondaire et tertiaire de mes études). Mais vouloir réattribuer des noms très longs et compliqués dans une langue que personne de connaît à des concepts nouveaux sous prétexte que le premier nom était le plus souvent d’origine européenne ne mène à rien.

Au moins la classification des végétaux n’a pas totalement changé : c’est toujours en latin depuis la classification de Carl von Linné (le grand botaniste suédois du XVIIIe siècle) même si l’on a découvert de nombreuses plantes nouvelles et que la manière de les classer a un peu changé au fur à mesure des découvertes (c’est ce que j’expliquais dans un article sur les moustiques – voir Le moustique, ennemi public n°1 en Nouvelle-Calédonie ?





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